L’avocat de Plumey rompt le silence avant l’heure. Que le lecteur soit seul juge!

Le Nouveau Quoditen – 25 avril 1995

Condamné à sept ans de prison pour «l’une des plus grosses escroqueries de Suisse», l’ancien vendeur jurassien n’a toujours pas subi sa peine. Sans attendre la décison finale de la justice, son avocat publie un livre iconoclaste.

Au moment de son procès, voici plus d’un an, André Plumey parlait d’écrire ses Mémoires. Les confessions de ce Jurassien, petit vendeur, puis financier perdant 200 millions de francs dans des affaires pétrolières spéculatives, ont de quoi tenir en haleine. Mais le condamné, qui n’a toujours pas subi sa peine, faute d’avoir reçu les motivations du tribunal et d’être fixé sur le sort de son recours, est hospitalisé suite à une infection. Et c’est son avocat, le Bâlois Peter Zihlmann, qui rompt aujourd’hui le silence en signant «L’affaire Plumey».

L’ouvrage relate non seulement certains épisodes piquants et inconnus de la vie d’André Plumey, enfui sous un faux nom au Canada, puis en Amérique du Sud. Il est aussi prétexte à s’interroger sur le fonctionnement de la justice pénale, à propos de laquelle l’avocat écrit que «la plus grande erreur judiciaire consiste à la tenir pour équitable».

Moins médiatique que son client, Peter Zihlmann n’en a pas moins un parcours intéressant. Car l’affaire Plumey, pour ce juriste qui a commencé sa carrière en conseillant la firme Ciba, et qui aide aujourd’hui gratuitement des personnes désargentées, est l’occasion de mettre le doigt sur certaines inégalités. Lecture commentée.

LNQ: Vous dites que votre livre s’inscrit dans la tradition des romans d’avocats, tels qu’il en existe en France et non en Suisse. Pourquoi?

Peter Zihlmann: Il n’est pas dans nos habitudes de remettre en cause les décisions de justice. Le but de ce livre est de proposer au lecteur de juger par lui-même. Il faut essayer d’aller voir derrière les articles de loi, de faire un peu d’histoire du droit et de se demander pourquoi notre Code pénal punit si sévèrement ceux qui s’attaquent aux valeurs mobilières, chères à la bourgeoisie, et parfois si peu certains actes de violence. C’est un débat actuel en Allemagne et cette affaire en offre une illustration. Car je prétends qu’André Plumey n’a pas fait preuve de violence en perdant l’argent qui lui était confié. On l’a fait passer pour un escroc de gros calibre, mais comparé à d’autres affaires actuelles, c’est du menu fretin. Il a surtout failli par incompétence.

Vous rappelez certains points peu évoqués au cours du procès, notamment les quelque 14 millions laissés en Suisse par Plumey dans sa fuite…

Ce point n’a intéressé personne. Et, d’ailleurs, j’ai l’impression que la Cour n’a pas cherché à savoir si l’accuse avait directement profité des sommes englouties dans sa déconfiture. C’était une situation assez bizarre pour un défenseur: ce n’était tout de même pas à moi de leur demander de trouver d’éventuelles charges contre mon client! Le manque de dialectique entre accusation et défense m’a surpris. Cela dit, même si Plumey habitait a Bâle un immeuble plutôt modeste, il a‘ vécu d’une partie des fonds qui lui étaient confiés, et j’ai moi-même financé mon mandat avec les reliefs de son héritage.

Vous relatez plusieurs faits étranges produits durant le processus judiciaire. A. commencer par cet avocat brésilien qui propose à Plumey, contre 50 000 francs suisses, des papiers lui permettant de n’être pas livre.a la justice suisse. Par cette enquête qui, lorsque Plumey est en fuite au Canada, est menée par les journalistes avec bien plus de célérité que par les enquêteurs. Par les scandales, enfin, qui émaillent l’instruction: vous devez vous adresser aux juges fédéraux pour pouvoir consulter le dossier d’enquête; l’un de vos domiciles est curieusement cambriolé; ce n’est que contre la promesse de ne pas dénoncer les soustractions fiscales que le ministère public obtient certains témoignages de victimes.

Je n’entends pas obtenir ainsi un non-lieu ou une réduction de peine. Mais il est intéressant pour le citoyen de voir que la réalité n’est pas faite de noir et de blanc…

Plumey était bien entouré: au Canada, où il a refait sa vie après une première débâcle, c’est un sénateur qui était vice-président de sa nouvelle société. Aujourd’hui, même sa secrétaire l’a abandonné, et il a toutes les peines du monde à obtenir qu’on lui loue un appartement. Vous n’êtes pas tendre avec lui, en relevant sa vanité, son manque de courage et du moindre don pour les affaires. Comment a-t-il pris votre livre?

II ne l’a en main que depuis deux jours. Mais il m’a félicité!

PROPOS RECUEILIS PAR SYLVIE FISCHER

«L’AFFAIRE PLUMEY. LA JUSTICE EN JEU» par Peter Zihlmann. Traduit de l’allemand, Slatkine, Genève, 1995