André Plumey, un escroc de bonne foi

‚Hebdo – 27 avril 1995

CONFESSION A I’occasion de la parution du livre consacré à sa folie saga, le célèbre escroc jurassien s’explique pour la première fois. Une interview exclusive.

Par la haie vitrée de sa chambre d’hôpital, André Plumey domine Bâle. Comme du temps de sa splendeur, lorsqu’il recevait les plus grands banquiers de la ville dans ses prestigieux bureaux du Bockstecherhof, juste de l’autre côté de la route. Près de dix années ont passe depuis ce jour noir de décembre 1985, où le Jurassien comprit que son empire financier venait de s’écrouler comme un château de cartes.

Attirés par les dividendes royaux que Plumey leur promettait (plus de 20%) près d’un millier d’investisseurs lui avaient confié quelque 200 millions de francs. Il disait les placer aux Etats-Unis, dans le pétroIe et dans l’immobilier. Mais cela faisait déjà bien longtemps que les gogos jouaient à l’avion sans le savoir: l’argent des nouveaux investisseurs servait à payer les dividendes de ceux qui les avaient précédés.
Trois ans de cavale sous un faux nom au Canada. Dix-huit mais de préventive dans les geôles sévères du Lohnhof à Bâle, avant d’être libéré sous caution (300 000 francs!) pour raison de santé. Une condamnation à sept ans de prison pour escroquerie par métier et faux dans les titres, contre laquelle un recours en cassation est toujours pendant. Un sacré palmarès.
Pâle, les traits fatigués, André Plumey garde l’oeil vif et soigne sa mise, même s’il sait bien qu’il ne sera plus jamais le financier élégant qui suscitait l’admiration de tous. Sur sa table de chevet, un livre vert estampillé d’un rouge «Kriminell»: «L’affaire Plumey. La justice en jeu»* dont l’auteur n’est autre que son avocat, Me Peter Zihlmann. «Il m’a coupé l’herbe sous les pieds: je ne pourrai plus écrire mes Mémoires», lâche André Plumey dans un sourire. En 300 pages bien enlevées, le bouquin raconte sur un mode romance la fuite, la détention et le procès du financier jurassien. Un vrai polar qui rappellera sans doute de fâcheux souvenirs aux plumés de jadis.
Sa conviction: André Plumey est certes un homme d’affaires déchu, mais pas un escroc. Pour lui, le tribunal n’est pas parvenu à prouver le contraire. Il s’est contenté de conforter son a priori. Ce faisant, il aurait fait de lui «la victime expiatoire idéale et exemplaire sur l’autel du grand capital pour le purifier du mal et de la délinquance» (sic!).
Reste le regard que jette le principal intéressé sur les faits qui lui ont valu la prison. Concentre sur sa chaise, la voix bien timbrée, colorée d’un léger accent jurassien, André Plumey s’explique avec son passe. Le ton n’est pas au mea culpa: pour lui, l’erreur, c’est les autres.

  • Lorsque vous songez aux investisseurs dont vous avez trahi la confiance, que ressentez-vous aujourd’hui?
  • Je liens à le souligner: je n’ai pas du tout voulu trahir leur confiance. Il y avait quelque chose de solide à la base. Hélas, tout s’est écroulé avant que cela ait pu être concrétisé.
  • Pourtant, quelques mols après avoir fui la Suisse, vous vous êtes remis à tromper des gens au Canada. C’était donc plus fort que vous?
  • Je n’ai pas voulu tromper les gens. Mais je n’avais plus d’argent. N’oubliez pas que j’ai laisse quelque 15 millions a Bâle, sur des comptes dont j’avais la signature. J’ai en quelque sorte été contraint de monter une nouvelle affaire.
  • Vous étiez un homme fiche et adule; aujourd’hui vous êtes seul et ruiné. Quelle a été votre principale erreur?
  • Je n’ai jamais été riche au sens où vous l’entendez. Mon éducation m’empêchait d’en faire un objectif. Aujourd’hui, c’est vrai je suis totalement ruiné. J’ai commis un certain nombre d’erreurs, mais je ne suis pas assez bien physiquement pour m’expliquer en détail maintenant. Une chose est sûre: tout n’était pas bâti sur le sable dès le début.
  • Vous arrive-t-iI de regretter de n’avoir pas cédé aux injonctions de votre bras droit, Léo Holenstein, qui, lorsque les carottes étaient cuites, vous suppliait de prendre le large avec les 15 millions qui restaient sur vos comptes?
  • Jamais. Dire: «Viens, on se tire avec le magot», ce n’est pas dans mon tempérament.
  • Si vous n’aviez pas été repéré et arrêté par la police à Rio de Janeiro, seriez-vous vraiment rentré en Suisse de votre plein gré?
  • Absolument. Mon avocat brésilien voulait que je reste. J’ai toujours refusé. Pour moi la fuite était terminée, je voulais régler mes comptes avec la justice.
    Une situation aussi fausse ne pouvait durer éternellement. Rien n’allait plus, je n’avais plus envie de poursuivre la cavale.
  • De 1976 à 1985, vous avez été le patron de la société André Plumey Finances SA. A quel moment avez-vous senti que vous basculiez dans I’illégalité?
  • plumey_lhebdo2Je ne sais pas si l’affaire a basculé dans l’illégalité, mais ce qui est sûr c’est que j’ai été extrêmement mal conseille par certaines personnes de mon entourage, ce que j’ai réalisé très tardivement. En fait, je n’ai découvert la vérité qu’au début décembre 1985, en prenant connaissance du rapport de la fiduciaire américaine. (Ndlr: qui dénonçait un trou de 20 millions dans la comptabilité).
  • Mais vous saviez tout de même qu’une partie de I’argent n’avait jamais été investie aux USA et servait à payer les dividendes des investisseurs?
  • Oui, c’est vrai, mais très tardivement. A ce moment-là, j’ai eu énormément de soucis. Mais encore une fois, certaines personnes de mon entourage m’incitaient à continuer en disant qu’il y avait de très gros espoirs. Je ne me considère pas comme un ange, mais pas non plus comme un bandit. Je sais qu’a un moment donné j’ai été déficient, je n’ai plus pu contrôler la situation, trop occupé que j‘ étais avec la clientèle, et à partir de ce moment, il y a eu dérapage.
  • Votre avocat dit de vous que vous êtes un génie de la vente, mais que vous n’avez jamais été un véritable homme d’affaires. D’accord avec lui?
  • Oui, c’est vrai, je me suis fourvoyé. Je le dis en toute modestie, je crois que j’étais un excellent vendeur mais pas du tout un gestionnaire. Mais j’avais engagé des gens qui devaient l’être à ma place. Je n’ai jamais entendu dire qu’un banquier ou un financier devait tout faire dans son établissement.
  • De quoi vivez-vous aujourd’hui?
  • C’est très simple, de mon AVS et d’une petite rente: 2800 francs au total. Et je vous assure qu’il n’y a rien d’autre!
  • En tout, vous avez encaissé quelque 200 millions de francs de la part de vos investisseurs. Ou est passé tout cet argent?
  • Facile à expliquer, mais pas en une minute. En tout cas moi, je n’ai plus rien. S’il me restait beaucoup d’argent, si j’avais voulu escroquer le monde, est-ce que je serais là à répondre a vos questions? Si j’avais eu l’intention de partir avec l’argent des clients, je n’aurais pas attendu l’alerte de fin décembre 1985, ça me paraît logique.
  • A quoi consacrez-vous vos journées, quels sont vos projets?
  • A la lecture. J’écris aussi des choses sans suite, des essais. J’aspire à vivre en paix, c’est tout. Il est clair qu’à 66 ans et après une histoire pareille, je n’ai plus de projet professionnel.
  • Vous avez fait recours en cassation contre votre condamnation à sept ans de prison pour escroquerie par métier et faux dans les titres. Croyez-vous encore à la justice?
  • J’essaie d’y croire, oui. Je lui ai toujours fait confiance. J’espère que cette fois elle ne ménagera pas ses efforts pour faire toute la lumière sur cette affaire. Sans espoir on ne va plus très loin.

PROPOS RECUEILLIS PAR DANIEL PILLARD

* Editions Slatkine où il paraît aussi en allemand sous le titre «Der Fall Plumey. Die Ware Wahrheit»